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Vers la compréhension du mécanisme de transport de l’oxygène dans le sang

Première observation du complexe [ Hème -Fer (III)–dioxygène ]<SUP>+</SUP> en phase gazeuse

Les hémoprotéines assurent le transport du dioxygène dans l’organisme humain et chez les autres vertébrés. Elles fixent de façon réversible l’oxygène moléculaire sur leur site actif appelé Hème ou Protoporphyrine du fer [Hème Fe(II)]. Ce site est localisé sur un atome de Fer qui se trouve au centre d’une porphyrine, dans le degré d’oxydation II. Il arrive que des agents oxydants tels que les nitrates contenus dans l’eau ou dans les légumes puissent oxyder l’ion Fe(II) de l’Hème en Fer(III) ; on est alors en présence de la méthémoglobine. Il est communément admis que la molécule de dioxygène ne se lie pas avec l’ion Fer(III) contenu dans une hémoprotéine dans les conditions biologiques, à température ambiante. La concentration excessive de méthémoglobine dans le sang conduit à une maladie, « la méthémoglobinémie » qui provoque une cyanose et la mort. Cependant, il existe quand même une faible interaction entre le dioxygène et le site actif de la méthémoglobine caractérisée par la liaison Fe(III)-dioxygène.

Ainsi, grâce au piège à ions refroidis du CLUPS, nous avons pu observer le complexe, [Hème Fe(III)-O2]+ qui lie le site actif des hémoprotéines au dioxygène. Nous avons mesuré son énergie de liaison (0.1 eV). L’étude de la variation en température de l’équilibre [Hème Fe(III)]+ + O2 ↔ [Hème Fe(III)-O2]+ nous a permis de mesurer l’enthalpie de formation de [Hème Fe(III)-O2]+ et d’en déduire l’énergie de la liaison Fe(III)-O2 au sein de l’Hème Fe(III) (figure 1). Celle-ci est faible ( 0.1 eV) mais mesurable avec précision dans nos conditions ; elle est cependant environ cinq fois plus forte qu’une pure liaison électrostatique charge (Fe+) - dipôle induit (O2) , donc de nature différente.

L’étude du spectre d’absorption en phase gazeuse du même système [Hème Fe(III)-O2 ]+ apporte des informations importantes sur la nature de la liaison Fe(III)-O2 ; en effet, l’état de spin des métaux de transition et particulièrement celui de l’ion Fer(III) varie selon l’état de complexation, de ligandation et/ou de l’environnement. L’état de spin est un indicateur de la configuration électronique du fer qui détermine la nature de la liaison entre le Fer et O2 . Le spin peut prendre les valeurs S= 5/2, 3/2 ou 1/2. Le spectre d’absorption du complexe [Hème Fe(III)-O2 ]+ en phase gazeuse (figure 2) comprend deux bandes : une bande nommée Q centrée à 530 nm, typique des porphyrines (transition électronique π -> π*) et surtout une bande dite de transfert de charge, centrée à 600 nm. La présence de cette dernière révèle que l’ion Fer(III)+ est dans un état « haut spin » (S=5/2), indiquant que les orbitales 3dxz,yz sont à moitié occupées. En effet, dans ce cas, des transitions à transfert de charge porphyrine π → (3dxz,3dyz) de l’ion métallique sont possibles.

La nature de cette liaison fer-dioxygène dans l’hème est un sujet de débat depuis Pauling (1936) et seulement récemment, la chimie quantique a pu répondre de façon plus nette à cette question. La liaison Fe(II)-O2 trouve son origine dans le transfert de charge entre l’atome de fer et l’oxygène qui réorganise la configuration électronique de l’atome de fer et crée le couple en interaction Fe(III)+ (S=1/2) + O2- (S=1/2) (modèle de Weiss). Dans ces conditions, une orbitale π* de O2 - interagit fortement avec la d z2 de l’atome de fer.

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Figure 1
Variation de la constante d’équilibre en fonction de la température, mesurant l’enthalpie de la réaction :
[Hème Fe(III)]+ + O2 ↔ [Hème Fe(III)-O2 ]+
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Figure 2
Spectre d’absorption du complexe
méthémoglobine –dioxygène
[Hème Fe(III)-O2 )]+

A l’inverse, la liaison dans le complexe [Heme Fe(III)-O2 ]+ apparaît plus comme une liaison beaucoup plus faible puisque O2 étant neutre ne peut s’approcher suffisamment de l’atome de fer pour un interaction forte. De plus dans Fe(III)+ haut spin, l’orbitale dz2 est partiellement occupée et ne peut interagir suffisamment avec O2 , d’où la faiblesse de cette liaison en formation.
Il faut maintenant passer à la modélisation et à la systématisation. Ces expériences originales nous permettent d’initier un nouveau sujet d’étude : l’observation systématique des liaisons Heme-ligand en phase gazeuse et ainsi de déterminer expérimentalement les énergies de ces liaisons, valeurs largement mal connues (tant expérimentalement que par le calcul). Ainsi notre prochaine étape sera la mesure précise de l’énergie de la liaison [Heme Fe(II)-O2 ].qui pour l’instant repose sur des calculs avec une importante dispersion des valeurs.