Les molécules non-rigides, c’est-à-dire présentant un ou des mouvements de grande amplitude comme la rotation interne, l’inversion, la migration ou encore la pseudo-rotation, constituent une partie substantielle des systèmes moléculaires observables. Ces molécules ont fait, et font toujours, l’objet de développements théoriques. Une des raisons pour cela est qu’elles ne relèvent pas de l’approximation harmonique et qu’il n’existe pas d’approche théorique générale pour les traiter. Parallèlement, en raison des améliorations récentes des performances des lasers, la modélisation de systèmes moléculaires soumis à des impulsions laser ou térahertz constitue également un axe de recherche important. Elle donne lieu à de nombreuses applications et à des résultats théoriques nouveaux.

L’équipe SYSTEMAE s’implique dans le développement d’approches théoriques destinées aux molécules non-rigides et à la modélisation de l’effet d’impulsions laser femtoseconde. Certaines des études entreprises sont listées ci-dessous :

  • analyse et modélisation du spectre haute-résolution de molécules d’intérêt astrophysique non-rigides en vue de leur détection dans les milieux interstellaires,

  • contrôle de systèmes moléculaires à l’aide d’impulsions laser ou térahertz,

  • analyse et modélisation du spectre de photo-ionisation de systèmes moléculaires non-rigides présentant un effet Renner-Teller prononcé.

Spectroscopie de photo-ionisation de molécules non-rigides

La spectroscopie de photo-ionisation s’intéresse à l’électron émis par une molécule quand elle s’ionise sous l’effet du rayonnement VUV. Elle est la source de nombreux problèmes théoriques, car il faut bien modéliser les niveaux d’énergie de la molécule neutre et ceux de son cation. Ceci est bien illustré par la modélisation, effectuée par l’équipe SYSTEMAE, du spectre de photo-ionisation du méthylène (CH2), un radical très non-rigide.

Figure 1 – Variations en fonction de l’angle de valence γ= ∠ HCH de la fonction énergie potentielle V(γ) du méthylène en eV pour l’état électronique de base X3B1 du neutre (CH2) et pour les états électroniques X+2A1 et A+2B1 du cation (CH2+ ).

Comme le montre la Figure 1, le méthylène est caractérisé par une barrière à la linéarité trèsbassequiexclutuntraitementharmoniquedumodedevalence.Celui-cidoitêtretraité comme un mouvement de grande amplitude et il faut prendre en compte la singularité se manifestant quand la molécule s’approche de sa configuration linéaire (γ= π) caractérisée par une constante rotationnelle infinie. Comme l’atteste la Figure 1, le cation CH2+ est également difficile à traiter théoriquement en raison d’un effet Renner-Teller très prononcé donnant lieu à deux sous états électroniques s’écartant rapidement quand on s’éloigne de la configuration linéaire. Ces difficultés théoriques ont été surmontées et l’on peut voir à la Figure 2 une comparaison entre spectre de photo-ionisation observé et calculé.

Figure 2 – Spectre de photo-ionisation observé, panneau du haut, et calculé, panneau du bas, de la transition ionisante X+ 2Πu ←X3B1 du radical CH2. Pour les deux spectres l’axe des y correspond à la quantité d’électrons émis par la molécule quand on fait varier l’énergie du rayonnement électromagnétique, portée sur l’axe des x. L’échelle des y est multipliée par 2 pour les énergies supérieures à 10.54 eV. Dans le panneau du bas la progression Franck-Condon notée a provient du niveau (000), K′′= 0 du neutre et connecte les niveaux (0v2+0), K+ = 1 du sous-état électronique A+ 2B1 du cation. Les progressions notées b et c proviennent du niveau (000), K′′ = 1 du neutre et connectent respectivement les niveaux (0v2+0), K+ = 2 et K+ = 0 du sous-état électronique A+ 2B1 du cation.

Spectroscopie de molécules d’intérêt astrophysique non-rigides

La spectroscopie haute-résolution est un des principaux outils de l’astrophysique. Elle permet de déterminer la composition chimique des milieux interstellaires et de mesurer de nombreux paramètres physiques comme la vitesse, la valeur du champ magnétique, etc.

Les astrophysiciens s’intéressent, entre autres, aux molécules partiellement deutérées, car elles apportent des informations importantes sur les processus chimiques à la surface des grains de glace. Dans ce contexte, l’équipe SYSTEMAE a travaillé sur la spectroscopie haute résolution des variétés partiellement deutérées du méthanol, CH2DOH et CD2HOH, afin de modéliser leur spectre dans un domaine allant du millimétrique au térahertz.

Comme la variété normale du méthanol (CH3OH), les molécules CH2DOH et CD2HOH sont non-rigides et présentent une rotation interne de leur groupe méthyle par rapport au groupe hydroxyle OH. Contrairement à la variété normale du méthanol, cette rotation interne s’accompagne d’une variation importante du tenseur d’inertie généralisé avec l’angle de torsion ce qui complique la modélisation de leur niveaux d’énergie. Un modèle 4-D a été mis au point et résout l’équation de Schrödinger pour la torsion grâce à une quadrature de Gauss. L’application de ce modèle aux molécules CH3OH, CH2DOH, CD2HOH et CD3OH est montrée à la Figure 3 et met en évidence les différences qualitatives de leurs niveaux d’énergie torsionnels.

Figure 3 – Variation de l’énergie torsionnelle en fonction du nombre quantique rotationnel k pour CH3OH, CH2DOH, CD2HOH et CD3OH. Seuls sont montrés les trois premiers niveaux torsionnels. Pour les deux variétés symétriques CH3OH et CD3OH, un croisement des niveaux de torsion est possible, car ils sont de symétrie différente. Pour les deux variétés asymétriques CH2DOH et CD2HOH, leur symétrie moindre donne lieu à des croisements évités.

La Figure 4 montre le résultat d’une modélisation du spectre haute-résolution de CH2DOH et on peut voir une comparaison entre spectre observé et calculé dans la région de l’infrarouge lointain s’étendant de 40 à 41 cm−1. Il y a un bon accord entre théorie et expérience, tant pour la position que pour l’intensité des transitions. Le présent calcul ne va pas au-delà de vt = 2 ce qui explique pourquoi certaines transitions du spectre expérimental ne sont pas présentes dans le spectre théorique.

Figure 4 – Une comparaison entre spectre d’absorption observé et calculé pour la molécule CH2DOH. L’absorbance est portée en fonction du nombre d’onde σ en cm−1. Les transitions du spectre expérimental absentes dans le spectre calculé ne sont pas encore modélisées, car elles impliquent des valeurs du nombre quantique torsionnel vt supérieures à 2.

Molécules soumises à des impulsions laser ou térahertz

Avec l’apparition de lasers très puissants délivrant une impulsion dont on peut faire varier la forme,l’alignementde moléculaireconnaîtunregain d’intérêt. Detelles impulsions peuvent être utilisées pour contrecarrer la distribution angulaire aléatoire des molécules en phase gaz et il existe de nombreuses applications tant dans le domaine de la physique que dans celui de la chimie.

La contribution de l’équipe SYSTEMAE à la modélisation de l’effets d’impulsions laser ou térahertz s’appuie sur la théorie du contrôle optimal quantique. La forme du pulse térahertz donnant lieu à une orientation maximale d’une molécule de H2S au temps T a été déterminée théoriquement. A l’époque ce type de résultats n’était disponible que pour des molécules linéires. La Figure 5 montre les variations obtenues pour le champ électrique de l’impulsion térahertz et l’orientation de la molécule. Pour t = 50 ps, une orientation pratiquement maximale avec ⟨ΦZx⟩= 0.960 est obtenue.

Figure 5 – Les variations avec le temps t en picosecondes du champ électrique d’un impulsion térahertz polarisée rectilignement selon l’axe Z sont montrées sur le panneau du haut. L’orientation correspondonte d’une molécule SH2 est donnée dans le panneau du bas où les variations de ΦZx sont portées, également en fonction du temps t. La forme de cette impulsion a été obtenue théoriquement en faisant appel à la théorie du contrôle optimal quantique conduit à une orientation maximale de la molécule SH2 à t= 50 ps.

Contacts :
Laurent Coudert